mercredi 15 avril 2015

C'est combien, une gare ?

Dans un article précédent (ici), nous nous étions intéressé aux péages ferroviaires, qui valorisent le droit de circuler sur le réseau ferroviaire national. Nous allons aujourd'hui nous pencher sur la valorisation des gares. On ne s'intéressera ici qu'aux gares de voyageurs, à l'exclusion donc des terminaux marchandises et autres dessertes fret.
Nous analyserons dans un premier temps la situation actuelle, à la lumière notamment des grands principes décrits dans le Document de Référence des Gares (DRG), avant de nous pencher dans un deuxième temps sur les critiques qui lui sont faites notamment par l'ARAF.

    1. Les principes de gestion des gares

      1.1 Répartition SNCF/RFF

    Rappelons que RFF (ou maintenant SNCF Réseau) exploite l'ensemble des voies du réseau, alors que SNCF (SNCF Mobilités maintenant) exploite l'ensemble des gares. Cela pose évidemment question lorsque ces voies entrent en gare : où se trouve la limite entre la propriété de chacun ? La réponse est aujourd'hui l'objet d'un compromis qui n'est pas forcément trivial, mais qui représente l'équilibre trouvé depuis quelques anées.
    La figure ci-dessous (directement issue du DRG) représente cet équilibre.

    Répartition du patrimoine entre RFF et Gares & Connexions (source DRG)

        1.2 Gares & Connexions

          1.2.1 Description

    Gares & Connexions (G&C) est une des 5 branches de la SNCF depuis avril 2009. Il s'agit d'une activité gérée de manière autonome et sa comptabilité est séparée de l'activité de transport des voyageurs depuis le 01/01/2010.

    L'activité Gares & Connexions a trois missions principales :
    • L’exploitation et le service aux transporteurs ferroviaires et aux clients :
      • assurer la gestion des flux dans les espaces de circulation et d’attente ainsi que l’information voyageurs,
      • fournir des prestations de service aux activités transporteurs ferroviaires et aux clients.
    • la gestion et la valorisation du patrimoine Gares :
      • définir et mettre en œuvre la stratégie de développement du patrimoine,
      • assurer la gérance du patrimoine immobilier Gares.
    • la convention de gestion des quais, grandes halles voyageurs et ouvrages connexes pour le compte de RFF :
      • assurer le nettoyage et le gardiennage des installations,
      • réaliser l’entretien courant des installations.
    L’Activité Gares & Connexions sous-traite à d’autres branches de la SNCF les missions opérationnelles suivantes :
    • Service de gare : le service de gare comprend l’ensemble des prestations « humaines » nécessaires à l’accueil à l’information et à l’orientation des voyageurs en gare. Les activités SNCF Voyages (TGV) et SNCF Proximités (TER) sont en charge de cette prestation,
    • Sûreté : SNCF est dotée d’une police ferroviaire (Sûreté Générale - SUGE) en charge de la sûreté des biens et des personnes. Les équipes SUGE, rattachées aux fonctions transverses (et bientôt à l'EPIC de tête SNCF), assurent la sûreté des gares,
    • Entretien des bâtiments : Depuis le 1er janvier 2013, l’activité d’entretien et de maintenance du patrimoine immobilier de la SNCF et de RFF réalisée par les Agences Bâtiment Energie (ABE) a été transférée à Gares&Connexions.
    Le branche Gares & Connexions est organisée en trois directions :
    • La direction du développement, qui pilote et réalise les grands projets ainsi que l'ensemble des investissements.
    • La direction commerciale et marketing qui définit et supervise l’offre de service, gère l'espace ferroviaire, commercial et public de la gare, administre les concessions et les locations en gare en lien avec sa filiale A2C et assure la politique d’entretien et de maintenance des bâtiments et installations.
    • La direction stratégie et finances, qui anime le plan stratégique et qui supervise notamment l'élaboration du DRG.
    • En complément, les Agences Bâtiments Énergie sont directement en charge de la maintenance et de l'entretien des gares.

    La branche se compose de 3400 salariés qui se répartissent comme indiqué dans la figure suivante.


          1.2.2 Ce qui change en 2015

    Peu de choses ! Gares & Connexions reste au sein de SNCF Mobilités.
    L'indépendance de Gares & Connexions est renforcée par le fait que la nomination du directeur des gares est soumise à avis de l'ARAF, et par le fait que l'avis de l'ARAF sur le DRG, auparavant simplement consultatif, devient un avis conforme, c'est à dire contraignant.

    De plus, la loi contient une clause de revoyure, qui prévoit que dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi (donc avant août 2016), le Gouvernement remette aux commissions permanentes du Parlement compétentes en matière ferroviaire un rapport relatif à la gestion des gares de voyageurs qui étudiera plusieurs scénarios, et notamment :
    • le transfert à SNCF Réseau
    • le transfert à des autorités organisatrices de transport
    • la possibilité de créer un (quatrième) établissement public reprenant l'intégralité des missions de Gares & Connexions et qui serait intégré au sein du groupe public ferroviaire.

        1.3 Les gares

    Les 2978 gares du réseau ferré national sont réparties en 3 catégories.

          1.3.1 Les gares de voyageurs d'intérêt national (catégorie a)

    Elles sont définies comme étant les gares dont la fréquentation par des voyageurs des services nationaux ou internationaux (ie TGV, Intercités, Eurostar, Thalys, …) est supérieure ou égale à 250 000 voyageurs par an, ou les gares uniquement desservies par ce type de services. SNCF en recense 131, dont la fréquentation est représentée ci-dessous en termes de nombre de départs-trains (le nombre de trains qui partent de cette gare, donc).



    Le podium de cette catégorie est surprenant puisqu'on retrouve, en plus de Paris Saint Lazare à la 2ème place (avec 200 000 départs-trains), 3 gares souterraines parisiennes, à savoir Paris Nord souterraine (grand vainqueur avec plus de 290000 départs-trains par an, soit quasiment 800 par jour en moyenne), Paris Austerlitz souterraine (167000) et Paris Lyon souterraine (126000). Ces gares n'accueillent aucun service national ni international, mais elles sont positionnées dans cette catégorie car la SNCF ne souhaite pas dissocier la gestion de la partie souterraine de la partie surface, qui, elle, fait indéniablement partie de la catégorie a. Ce choix est critiqué par l'ARAF, nous y reviendrons dans la deuxième partie.
    Chacune de ces gares est suivie au sein d’une instance régionale de concertation composée notamment d'un représentant de G&C, d'un représentant de SNCF Réseau (ex-RFF), de représentants des entreprises ferroviaires et des autorités organisatrices. Cette instance examine annuellement les prestations rendues et les programmes d’investissements prévus.

          1.3.2 Les gares de voyageurs d'intérêt régional

    Il s'agit des gares atteignant une fréquentation au moins égale à 100 000 voyageurs par an.
    La SNCF en recense 928.

          1.3.3 Les gares d'intérêt local

    Il s'agit de l'ensemble des autres gares, de loin les plus nombreuses avec un total de 1919.

    Les gares de catégorie b et c peuvent faire l’objet d’une convention pluriannuelle entre la SNCF et le STIF ou la région concernée.

        1.4 Les redevances Gares & Connexions

    Pour assurer ses missions, G&C est rétribuée sur deux périmètres bien distincts :
    • le périmètre régulé, qui vise à couvrir les coûts d'utilisation de la gares par tous les transporteurs ferroviaires pour l'exploitation.
    • le périmètre non régulé, qui recouvrent les loyers ou redevances fixés en fonction des conditions de marché, pour tous les autres clients et notamment les commerces en gares.

          1.4.1 Les prestations régulées

            1.4.1.1 Description
    Les prestations régulées se divisent en 2 grandes catégories :
              1.4.1.1.1 Le service de base 
    Il comprend :
    • La prestation de base qui se compose de :
      • L'ensemble des charges courantes d'entretien et d'exploitation, et notamment :
        • La mise à disposition et l'entretien de bâtiments, espaces & équipements nécessaires à l'accueil des voyageurs et à l'accès des voyageurs aux trains
        • Le service de gare, qui inclut :
          l'accueil général
          la prise en charge des personnes à mobilité réduite jusqu'au pied du train,
          la gestion opérationnelle des flux de voyageurs
          la gestion de site, propreté, sûreté & sécurité
          les objets trouvés, consignes, toilettes, consignes, wifi, ...
        • La mise à disposition de l'information collective des voyageurs en gare
      • Le financement de la dotation aux amortissements des investissements
      • Le coût des capitaux engagés (nous y reviendrons par la suite)
    • L'assistance à l'embarquement/débarquement des personnes à mobilité réduite (du quai jusqu'à l'intérieur du train)
    • La prestation Transmanche, facturée à part du fait des procédures spécifiques liées aux impératifs de mise en sécurité des trains devant traverser le tunnel sous la Manche.
              1.4.1.1.2 Les prestations complémentaires
    Elles regroupent :
    • l'occupation par les entreprises ferroviaires d'espaces en gare pour leur seul usage
    • le préchauffage des rames
            1.4.1.2 La tarification
              1.4.1.2.1 Service de base
    Nous mettrons de côté ici l'assistance à l'embarquement des personnes à mobilité réduite qui ne fait pas l'objet de facturation spécifique, ainsi que la prestation Transmanche qui est facturée proportionnellement au nombre de départs-trains.

    Le service de base est quant à lui facturé selon la formule :
    P = f + c1 x c2 x p, avec :
    • P le prix par départ-train
    • f une part fixe
    • c1 un coefficient multiplicateur selon la capacité du train :
      • vaut 1 pour des trains de capacité inférieure ou égale à 280 places assises
      • vaut 2 pour les trains de capacité comprise entre 281 et 560 places assises
      • vaut 4 pour les trains de capacité supérieure ou égale à 561 places assises.
    • c2 un coefficient fonction du parcours du train :
      • vaut 1 pour les trains urbains (distance <50km, traversant maximum 2 régions)
      • vaut 2 pour les trains régionaux (distance >=50km, traversant maximum 2 régions)
      • vaut 4 pour les trains longue distance (traversant au moins 3 régions)
    • p la part pondérée par les coefficients c1 et c2.
    La part pondérée correspond aux services qui sont plus particulièrement destinés au confort et à l'accueil des voyageurs et donc dépendent du nombre et de la typologie des voyageurs.

    Les coefficients sont calculés gare par gare pour les gares de catégorie a, mais sont moyennés par région pour les gares de catégorie b. Enfin, pour les gares de catégorie c, les coefficients c1 et c2 ne sont pas utilisés et le prix est donc moyenné par région sans distinction des types de trains et de leur parcours.

    Le graphique ci-dessous fait ressortir les prix extrêmes moyens par gare ou par catégorie.
    On remarque que la gare de Paris Austerlitz ressort dans les 2 catégories : pour la gare surface, le prix moyen est de 202€/départ train, alors qu'il n'est que de 2€/départ train en gare souterraine.


              1.4.1.2.2 Prestations complémentaires
    Notons tout d'abord que le préchauffage des rames est facturé au nombre de trains selon un tarif unique national.
    L'occupation d'un espace en gare est plus complexe à facturer. Le prix dépend principalement de la localisation des espaces par rapport aux flux des voyageurs, mais également de la situation de la concurrence et des prix du marché dans la zone concernée.
    L'emplacement est catégorisé de la manière suivante:
    • La zone hors cœur de gare, qui rassemble les locaux éloignés des flux de voyageurs, et pour laquelle les prix sont basés sur le marché local de l'immobilier de bureaux.
    • La zone cœur de gare, dont la redevance est basée sur le prix moyen payé par les commerces dans la gare concernée, avec des prix plafonds et plancher fixés respectivement à 300 et 1500€/m² (1000€/m² en province), qui se divise lui-même en plusieurs catégories :
      • Centre gare qui sert de référence pour les calculs
      • Hyper centre (majoration de +15%)
      • Zone d'attente (minoration de -25%)
      • Zone de flux (minoration de -50%)
    La répartition de ces zones figure dans des plans réalisés par Gares & Connexions et non diffusés à l'extérieur.
    La redevance des gares de catégorie a les plus significatives est représentée ci-dessous.


          1.4.2 Les prestations non régulées

    Ce terme recouvre pour la plus grande partie la location ou la concession d'espaces commerciaux en gares à des entités autres que les transporteurs, le tarif étant librement décidé entre les parties et contractuellement formalisé.

          1.4.3 La facturation

            1.4.3.1 Le principe
    Pour aboutir aux chiffres présentés plus haut, Gares & Connexions tient pour chaque gare (ou ensemble de gares en catégorie b ou c) un compte de gare.
    Chacune des charges payées par Gares & Connexions est schématiquement répartie en 2 grands comptes :
    • le compte transporteur pour les charges qui peuvent lui être directement affectées (exemple : maintenance du SI voyageurs, consignes & objets trouvés, etc.)
    • le compte des prestations non régulées pour toutes les concessions ou locations commerciales.
    Les charges ne pouvant être directement assignées à l'un ou l'autre sont réparties selon différentes clés (par exemple au prorata de la surface occupée en gare).
    Le bénéfice observé dans le compte des prestations non régulées est alors légalement redistribué à hauteur de 50% aux transporteurs. Cela implique donc que les commerces situés en gare servent en partie à financer (subventionner) le système ferroviaire.
            1.4.3.2 Les ordres de grandeur
    Le chiffre d'affaires total de Gares & Connexions est d'environ 1,154M€ en 2013.
    Il se répartit de la manière suivante :


    Le deuxième graphique représente l'affectation des redevances (en fonction des charges supportées par Gares & Connexions).

    Le graphique suivant représente l'importance relative des gares selon l'angle étudié.


    Le chiffre d'affaires réalisé grâce aux redevances des prestations de base des gares de catégorie a (411M€) inclut la rétrocession de 50% bénéfices issus des activités non régulées à hauteur de -14M€, soit environ 3,4%.

    Le montant de cette rétrocession est très variable, allant de plus de 3M€ pour les gares de Lyon Part Dieu ou Paris Gare de Lyon à 0 pour de très nombreuses gares (dont, étonnamment, Paris Saint Lazare!)


    En 2013, en retranchant 51M€ d’impôts et taxes, la marge opérationnelle de la branche s'élève à 237M€ (20,5% du chiffre d'affaires).

        1.5 Les prestations fournies par RFF

          1.5.1 Le service facturé

    De même que pour G&C, le service que propose RFF se divise en deux catégories:
    • Le service de base, qui inclut notamment la mise à disposition des quais et cheminements des voyageurs (escaliers d'accès, souterrains, etc), ainsi que l'information voyageurs uniquement vis-à-vis de la sécurité ferroviaire.
    • Les prestations complémentaires, qui désignent ici la mise à disposition d'espaces notamment sur les quais pour la vente de billets ou l'accueil des voyageurs.

          1.5.2 La tarification

    La tarification suit le même principe que pour G&C, avec l'objectif de couvrir le coût complet de la prestation offerte.
    De même que pour G&C, 50% des bénéfices issus des prestations non régulées sont rétrocédés aux transporteurs. Ces prestations représentent bien sûr un montant largement inférieur étant donné le peu d'espaces disponibles sur les quais par rapport aux gares elles-mêmes.

          1.5.3 Les ordres de grandeur

    Le chiffre d'affaires total de RFF pour les gares est d'environ 109M€ en 2013, dont 99 (91%) sont directement issus de la redevance des prestations de base. Cette valeur inclut la rétrocession de 50% bénéfices issus des activités non régulées à hauteur de -9,2M€, soit environ 9%.

    Au total en 2013, en retranchant 5,2M€ d'impôts et 69,1M€ de charges, la marge opérationnelle de l'activité gares pour RFF s'élève à 34,4M€ (soit 31,6% du chiffre d'affaires).

        1.6 Contribution Locale Temporaire

    La réforme d'Août 2014 ajoute un nouveau moyen de financement des investissements pour les gares d'intérêt régional ou local (hors gares de catégorie a donc). Il s'agit de la Contribution Locale Temporaire, nouvelle taxe qui peut être instaurée par une commune ou un Conseil Régional (ou le STIF), pour une durée de 10 ans maximum.
    Elle est assise sur le prix des billets & abonnements, à hauteur de 2% du prix du billet ou 2€ maximum.
    Le produit de cette taxe est affecté au financement des investissements « présentant un intérêt direct et certain pour les usagers du transport ferroviaire, destinés à améliorer l'insertion urbaine de la gare, l'accès de ses usagers aux services de transport public et de mobilité ou l'information multimodale ».

      2. Les différends avec l'ARAF

        2.1 Le contexte

    L'ARAF (ou maintenant, ARAFER) est l'Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires (et maintenant Routières), c'est à dire l'autorité chargée de contrôler que les règles du systèmes ferroviaires sont correctement appliquées, et notamment en termes de neutralité des gestionnaires d'infrastructures (SNCF Réseau ou RFF, et, donc, Gares & Connexions) vis à vis de la concurrence, toute embryonnaire qu'elle soit encore dans le domaine voyageurs.

    Vis à vis de Gares & Connexions, l'ARAF intervient principalement sur 2 aspects :
    • elle donne un avis sur le Document de Référence des Gares que nous venons de décrire
    • elle donne un avis sur la fixation du taux de rémunération du capital de Gares & Connexions, principe que nous évoquerons en détails par la suite.

    Depuis la sortie du décret gares en 2012, qui décrit les règles de fonctionnement du système, elle a rendu plusieurs avis successifs, tous défavorables à Gares & Connexions :
    • le 14/11/2012, défavorable au DRG 2014
    • le 12/11/2013, défavorable aux DRG 2014 modifié et 2015
    • le 04/11/2014, défavorable aux DRG 2015 modifié et 2016
    • le 03/02/2015, défavorable au DRG 2016. Cet avis diffère des précédents car il intervient dans le nouveau cadre défini par la réforme ferroviaire d'août 2014 qui transforme l'avis de l'ARAF sur le DRG, auparavant seulement consultatif, en avis conforme, et donc contraignant pour Gares & Connexions.
    On peut observer globalement que pour l'ARAF, les difficultés sont principalement liées au fait que G&C soit rattaché à SNCF Mobilités (ou anciennement SNCF) et non à SNCF Réseau (ou anciennement RFF). En effet, dès sa consultation sur le projet de décret-gare en 2011, l'ARAF a précisé qu'elle considérait comme « peu rationnelle » l'affectation des différentes infrastructures en gare, d'où selon elle la nécessité de « revoir en profondeur le cadre de gestion des gares ».

    En complément, le STIF a saisi l'ARAF le 22 juillet 2014 en reprochant à Gares & Connexions un manque général de transparence qui empêche la bonne compréhension des redevances facturées, ainsi que divers autres griefs que nous allons étudier ci-après. Il faut également noter que Gares & Connexions est également tenu de soumettre le DRG à l'avis des autorités organisatrices en amont de sa publication.

      2.2 Analyse

    Les avis successifs rendus par l'ARAF sont riches de nombreuses remarques plus ou moins importantes. Au fil des années, certaines des demandes de l'ARAF sont exaucées par G&C (et RFF) dans la version suivante du DRG, mais d'autres subsistent et se répètent au fil des rapports.

    Nous relèverons ici les divergences subsistantes entre les 2 entités (sans vocation à l'exhaustivité) :
    • Fixation du montant des redevances : l'ARAF estime que cet exercice devrait être réalisé sur une base pluriannuelle avec objectifs de performance et gains de productivité à la clé et non pas sur un rythme annuel comme aujourd'hui. Cet argument a été émis dès 2011 mais n'est pour le moment pas encore suivi d'effets.
    • L'ARAF demande que G&C s'engage en termes de disponibilité des installations et de fourniture des services attachés, avec la mise en place de pénalités en cas de non atteinte des objectifs, après concertation avec les parties prenantes pour définir des objectifs à la fois réalistes et ambitieux.
    • L'ARAF a également pour mission d'assurer une plus grande transparence, ce qu'elle assure à travers ses demandes successives d'informations toujours plus détaillées notamment économiques sur la répartition des charges et des investissements par gare ou ensemble de gares. Gares & Connexions estime déjà fournir de très nombreuses informations lors des réunions des instances de concertation des gares de catégorie a, ou lors du rapport annuel remis au STIF. Elle n'est donc pas opposée à répondre à cette demande dans le cadre de la prochaine version du DRG.
    • Calcul de la redevance : pour l'ARAF, les paramètres c1 et c2 et la répartition entre la part fixe f et la part pondérée p (en reprenant les dénominations de la partie précédente) reflètent mal la réalité des variations qu'ils sont censés couvrir. Cette demande est appuyée par le STIF qui voudrait voir réduite sa part du financement de certains services tels que les chariots à bagage ou les prestations destinées aux personnes à mobilité réduite, au motif que ces prestations ne sont selon lui quasiment pas utilisées par les voyageurs du quotidien. Gares & Connexions a pris acte de cette demande et va lancer une consultation pour la mise à jour des redevances de calcul pour le DRG 2017, tout en soulignant que cette modification ne sera pas nécessairement bénéfique à l’Île de France.
    • Mise à disposition des plans a minima simplifiés de chaque gare de catégorie a avec la répartition des différents espaces : G&C s'oppose à cette demande pour des raisons de sécurité, mais l'ARAF n'a pas jugé cet argument valable et enjoint G&C de transmettre ces plans au STIF et aux autorités qui en feraient la demande, à défaut de les mettre à disposition sur son site.
    • L'ARAF demande une meilleure justification de la tarification des espaces dans les différentes zones (cœur de gare, zones de flux, etc). Elle estime en effet que cette répartition, qui vise à optimiser la valorisation commerciale des gares, ne doit pas empêcher les entreprises ferroviaires ou les autorités organisatrices de choisir par elles-mêmes les emplacements qu'elles jugent les plus pertinents.
    • L'ARAF demande un retour d'expérience détaillé sur une expérimentation de délégation à l'activité TER de certaines missions du service de base. Cela engendre une réduction et donc une simplification des flux de facturation entre TER & G&C (TER ne facture plus la réalisation des prestations qu'elle réalise (accueil, information voyageurs, ouverture/fermeture des gares...), et G&C transfère à TER uniquement les redevances perçues des autres transporteurs). Pour l'ARAF, une telle démarche risque de conduire à l'opacification des relations financières entre les deux entités, ce qui n'est pas conforme au principe de séparation comptable.
    • Classement des gares souterraines de Paris Austerlitz, Paris Nord et Paris Lyon en catégorie B. Cette demande appuyée par le STIF car son pouvoir de décision est supérieur pour les gares de catégorie b, par rapport aux gares de catégorie a où les décisions se prennent dans le cadre des Instances de concertation où le STIF n'est qu'un représentant parmi d'autres. Pour G&C, la séparation entre la gare de surface et la gare souterraine n'existe pas dans la réalité puisqu'il s'agit dans chaque cas d'un seul et même bâtiment, et cela se vérifie notamment en cas d'évacuation des lieux, qui occasionnent des flux d'un espace vers l'autre. L'ARAF n'a pas retenu cet argument en considérant que la séparation existait déjà dans les tarifs, et que le changement de classement n'impacterait pas la cohérence globale de la gestion qui reste dans les mains de Gares & Connexions.
    En complément, le STIF a demandé les éléments suivants qui n'ont pas été retenus par l'ARAF :
    • En complément des objectifs de productivité, le STIF propose la mise en place d'un mécanisme de price cap au lieu d'un mécanisme cost plus. Plus concrètement, cela signifie passer d'un modèle où les redevances sont fixées à partir des coûts réels auxquels s'ajoute une rémunération « raisonnable » (notamment via le CMPC), à un modèle où un prix maximal est fixé de manière pluriannuelle en tenant compte de l'inflation et des gains de productivité attendus. De cette manière, si G&C était plus efficace, elle conserverait les gains, mais elle perdrait de l'argent en cas de sous-efficacité. Si l'ARAF considère cette approche pertinente, elle n'y donne pas suite, ne s'estimant pas compétente pour le prescrire.
    • L'allocation exclusive à l'Ile de France des moyens alloués par le STIF à Gares & Connexions, et la réutilisation majoritairement en Ile en France des bénéfices des commerces situés dans les gares d'Ile de France. G&C estime que la législation ne permet par aujourd'hui ce fonctionnement, et souligne de plus que les gares de catégorie b sont loin d'assurer leur autofinancement. G&C revendique donc une péréquation nationale, c'est à dire la possibilité de profiter des bénéfices d'une gare pour financer le déficit d'une autre ailleurs, sans tenir compte des frontières des régions, dans le respect des règles existant par ailleurs. L'ARAF a rejoint cette position.
    • Le partage de la facture de certaines charges (l'accueil, le mobilier, le nettoyage des sanitaires, …) et certains investissements (accessibilité, vidéoprotection) avec les commerces. G&C a soutenu le fait que le dimensionnement de ces charges était uniquement basé sur les activités ferroviaires, et que leur utilisation par les autres activités relevaient de l'externalité positive (gain d'opportunité). L'ARAF a rejoint cette position en considérant de plus que cette dimension était couverte par la rétrocession de 50% des bénéfices des activités non régulées.
    • Le STIF a demandé à ce que lui soient communiqués les comptes de résultat détaillés pour chaque gare de catégorie a en Ile de France, demande que l'ARAF a jugé excessive compte tenu des autres informations qu'elle demande à G&C de fournir.
    • La séparation de la gare de l'Aéroport Charles de Gaulle en 2, dont une relevant de la catégorie b. L'ARAF n'a pas donné suite à cette demande en considérant que si les quais étaient bien discriminés entre TGV et Transilien, les espaces de vente, d'accueil, etc. étaient communs dans le hall de surface et il n'était donc pas possible de séparer la gare en 2 périmètres distincts.

        2.3 Le coût d'immobilisation du capital employé

          2.3.1 Facturation aux transporteurs

    Les charges facturées aux transporteurs dans le cadre des prestations de base incluent des charges de capital, notamment les charges d'emprunt, les frais financiers associés, ainsi que le coût d'immobilisation du capital (qui, schématiquement, rémunère le fait que Gares & Connexions a investi de l'argent dans une gare au lieu de le laisser fructifier sur un compte épargne).

    En pratique, ce coût est évalué en appliquant au capital investi un taux appelé le CMPC (Coût Moyen Pondéré du Capital), qui représente le seuil minimal de rentabilité permettant aux créanciers et actionnaires d'une entreprise d'investir sur un projet de manière à ce que le risque qu'ils prennent soit couvert.
    Il se calcule comme suit :
    CMPC = ( KFP=Coût des fonds propres) x (part des fonds propres dans le bilan) + (Coût de la dette) x (part de la dette dans le bilan)

    Le coût de la dette est directement issu des comptes de l'entreprise.
    Le coût des fonds propres se calcule comme suit :
    KFP = (Taux de rémunération sans risque, basé par exemple sur les obligations de l’État Français) + (prime de risque) x (risque systématique associé à l'entreprise).

    Le risque systématique (appelé β) est déterminé à partir d'un échantillon d'entreprises cotées en bourse du même secteur d'activité. La prime de risque tient compte de l'environnement macroéconomique de l'entreprise.

          2.3.2 Les ordres de grandeur

    Les investissements annuels de Gares & Connexions varient de 2013 à 2015 de 309 à 386M€

    Parmi le chiffre d'affaires réalisé grâce aux redevances des prestations de base, environ 70,6M€ sont issus de la rémunération de l'actif soit 8,8% des recettes. Pour Gares & Connexions donc, la rémunération du capital permet de financer environ 20% des investissements, tout en représentant moins de 10% des redevances.

    Les investissements annuels de RFF sur le périmètre des gares s'élèvent également à environ 300M€.

          2.3.3 Le contrôle par l'ARAF

    Le calcul de ce taux fait l'objet d'un contrôle par l'ARAF, qui y trouve beaucoup à redire, et ce dès 2012, dans le cadre des avis suivants :
    • le 11/07/2012, défavorable à G&C concernant le taux utilisé dans le DRG 2014
    • le 22/10/2013, défavorable à G&C concernant le taux utilisé dans les DRG 2014 & 2015
    Ce calcul fait également l'objet de critiques dans les avis précédemment mentionnés sur le DRG lui-même.
    Auparavant, l'Association des Régions de France, tout comme le STIF ont fait état de leur opposition au principe même de rémunération des capitaux investis sur fonds propres dès leur consultation en 2012.

    Dans chacun de ses avis, l'ARAF fait des propositions de fixation du taux, avec un point d'orgue lors de l'avis conforme sur le DRG 2016, qui est cette fois contraignant pour SNCF. Ces propositions sont reprises dans le tableau ci-dessous, qui indique le détail des paramètres utilisés par G&C, RFF et l'ARAF.



    La principale divergence se situe au niveau de la prime de risque : pour l'ARAF (tout comme pour l'ARF et le STIF), le risque auquel s'expose G&C sur ses revenus est très limité, de par la nature même du chiffre d'affaires de G&C. Avec environ 70% de ses revenus issus des redevances des transporteurs, parmi lesquelles plus de 75% sont issues des trajets quotidiens (TER & Transilien), l'ARAF considère que ses revenus sont peu sensibles aux variations économiques. Gares & Connexions met en revanche en avant la comparaison avec les grands aéroports internationaux, pour lesquels les paramètres de l'équation sont similaires à ceux qu'elle retient, et pour qui l'appétence à voyager de ses clients reste intimement liée à la conjoncture économique.
    Pour l'ARAF, ces chiffres sont excessifs et majorent de manière trop importante le bénéfice de Gares & Connexions, ce qui constitue pour l'ARAF une subvention des activités concurrentielles (transport de voyageurs) de SNCF par l'activité de gestion des gares.

    La modification du taux telle que prescrite par l'ARAF entraînera une chute des redevances facturées aux transporteurs de plus de 20M€.
    SNCF a plaidé la nécessité de ces ressources pour participer au financement de nouveaux investissements, en menaçant notamment la rénovation des gares d'Austerlitz, de Lyon Part Dieu ou encore de Rennes ou Nantes. Elle indique également que son calcul tient compte du risque de dégradation des finances locales qui pourrait contraindre les autorités organisatrices à des révisions à la baisse des subventions.
    Mais pour l'ARAF, la rémunération du capital doit uniquement viser à couvrir le financement des investissements passés et ne doit pas viser à financer une partie des investissements futurs. La solution réside selon elle dans l'augmentation de l'endettement de Gares & Connexions (ce que refuse SNCF), ou la baisse des dividendes versées en interne de Gares & Connexions à SNCF.

        2.4 Perspectives

    G&C a décidé de faire appel de la décision de l'ARAF auprès de la Cour d'appel de Paris concernant le différend avec le STIF. Ce dernier, qui était plutôt satisfait de la décision, a également décidé de faire appel afin d'avoir accès au dossier. L'issue de ce procès, puis la remise du rapport d'ici un an et demi au parlement laissent à penser que tout n'est pas encore terminé pour la gestion des gares, et que les mois à venir risquent de continuer à être riches en discussions et en évolutions pour le système !


    Sources :


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